2021 marque les 15 ans d’Infirmiers de rue. Emilie Meessen, cofondatrice, et Pierre Ryckmans, médecin, font le point sur toutes ces années de prise en charge des personnes sans-abri. Comment se sont-ils adaptés, avec leur équipe, au travail de terrain et à l’évolution du profile de leurs patients ? Comment ont-ils vécu ces changements et qu’ont-ils mis en place pour tenter d’apporter une réponse au défi du sans-abrisme ?  La remise en logement est rapidement apparue comme une solution incontournable. Explications.

@Pierre-Yves Jortay Photgraphy -Infirmiers de Rue

Comment est venue l’idée de créer un pôle logement ?

Emilie : « Le but initial de notre organisation était d’aller vers les personnes sans-abri et d’établir un contact avec elles. Au début, notre mission était de leur venir en aide sur le plan de l’hygiène et des soins médicaux, dont la plupart avaient grandement besoin. Au fil des années, on a dû apprendre à se limiter par rapport au nombre de personnes à qui venir en aide, pour s’assurer de les revoir et ainsi, d’instaurer une régularité dans leur prise en charge. On a vite constaté que la personne, une fois qu’elle retrouvait confiance en elle, retrouvait également confiance en l’avenir. Mais on ne pouvait pas concevoir cet avenir en rue. A ce moment-là, on a réalisé qu’il fallait aller plus loin dans le travail de suivi de nos patients, et on a donc envisagé la remise en logement. »

Pierre : « En effet, au départ nos assistants sociaux avaient comme tâche, entre autres, de trouver des logements pour nos patients. On était à l’affût de tout type de logement :  maison de repos, centre de soins, maison d’accueil, logement individuel, etc., mais les recherches prenaient énormément de temps, ce qui a mené à une réorganisation de l’équipe de terrain. En 2011, le pôle logement a vu le jour, en complément du pôle rue déjà existant. Cela fait donc déjà 10 ans que notre premier patient a pu être relogé. Depuis lors, ce chiffre n’a jamais cessé d’augmenter. Il y a eu un effet boule de neige, les personnes étaient motivées de voir que d’autres avaient réussi à se reloger et se sont dit : « pourquoi pas moi ! ». À ce jour 164 personnes ont été relogées durablement. »

Qu’apporte un logement à vos patients ?

Pierre : « Selon nous, des logements décents sont la clé pour le problème du sans-abrisme. Le logement permet à la personne de reprendre sa vie en main, de se sentir en sécurité et s’intégrer à nouveau dans la société. Il est également plus facile de soigner la personne, sur le plan physique et mental, quand elle est stabilisée en logement. Nous devons donc trouver un maximum de solutions de logement. Mais un point important, dont nous devons tenir compte, est de savoir ce dont la personne a vraiment besoin ! Il faut s’adapter en fonction de la demande. Un logement individuel n’est pas toujours la meilleure solution. Certaines personne se sentiront plus en sécurité si elles sont logées dans une institution, par exemple. »

Emilie : « De plus, cette année de crise sanitaire a encore plus ouvert les yeux sur l’importance d’avoir un logement. Certains de nos patients ont été mis à l’abri temporairement dans des hôtels. Ce type de logement leur a procuré des conditions d’hébergement bien plus favorables que dans des centres collectifs d’urgences : plus d’intimité, des salles de bains et toilettes séparées, un hébergement 24h/24h et non plus de 18h à 8h. Cela a permis, aux travailleurs de CPAS notamment, de se rendre compte que quand les gens sont hébérgés décemment et dans de bonnes conditions, cela facilite le suivi et il y a donc moyen de faire du travail d'insertion. On espère pouvoir continuer sur cette lancée et reloger un maximum de personnes qui ont eu l’opportunité d’être hébergées à dans un hôtel. »

Comment en êtes-vous arrivés à faire du Housing First ?

Emilie : « Comme l’expliquait Pierre, certains, parmi nos premiers patients, ont pu intégrer des institutions, des maisons de santé et être ainsi relogés durablement. Mais à un moment donné, on s’est rendu compte que public qu’on suivait ne correspondait pas toujours aux conditions pour ce type de logement. On s’est alors tourné vers du logement individuel pour compléter nos possibilités de sortir les personnes de la rue. En 2012, ça faisait un an qu’on avait notre pôle logement. A ce moment-là, il y avait seulement 3-4 patients qui était relogés dans des studios ou appartements individuels. On s’est alors associé à l’organisation SMES (Santé Mentale et Exclusion Sociale) et on a créé une équipe Housing First. Avec ce projet, l’accès au logement sans condition est la première étape du parcours de réinsertion. Ensuite, pour aider la personne à s’y maintenir, les équipes Housing First des différentes organisations accompagnent la personne dans tous les domaines de sa vie. »

@Infirmiersderue_Straatverplegers

Pierre : « Il y a également eu toute une réflexion sur la création d’un bâtiment, basé sur un modèle new-yorkais qu’on a été visiter, et que nous avons finalement réussi à mettre en place à Bruxelles. L’immeuble comprend plusieurs appartements dédiés aux personnes sans-abri. Maintenant, en complément à ce type de logement, on met en place des logements modulaires.

La vision et la méthodologie de l’association n’ont jamais cessé d’évoluer au fil du temps. Au point que maintenant, on affirme que la fin du sans-abrisme est possible, ce qu'on n'imaginait même pas avant. »

© photos P-Y Jortay & R. Parregiani - Infirmiers de rue 2020