Voici presqu’un an et demi que je travaille au sein de l’équipe logement d’Infirmiers de rue. Nombreuses sont les personnes que j’ai pu accompagner, chacune ayant une trajectoire de vie singulière, unique et riche. Chaque patient·e que je guide dans son processus de rétablissement laissera une trace dans mon esprit et élargira mes connaissances sur ce monde, ce système et ses failles, moi-même et mes limites. Une rencontre m’a particulièrement marqué : celle de Monsieur W.

 

La première fois où je l’ai rencontré, il ne s’est pas montré fort bavard, il était même plutôt réservé. Les discussions allaient principalement dans un sens. Mais ma maladresse des débuts et mon énergie débordante perçaient involontairement, selon moi, sa bulle d’intimité.

Accéder à son univers n’était pas chose aisée. Peut-être à cause de cette grande différence d’âge qui nous sépare ? J’ai 25 ans et lui 70... Nous sommes opposés en termes de phase de vie. Je rentre à peine dans la vie adulte, alors que lui a déjà parcouru une majeure partie de son chemin existentiel, ayant dû faire face à la complexité que la vie réserve.

Étant son référent, j’ai été fort présent dans son projet de rétablissement.

Nous avons été amenés à nous voir à de multiples reprises, pour réaliser différentes démarches psycho-médico-sociales.

Au fur et à mesure des rencontres, les portes de son monde personne s’ouvraient peu à peu, laissant place à la création d’un lien entre nous. Ce n’était pas encore parfait mais quelque chose d’intéressant naissait.

Au fil des semaines et mois suivants, l’accompagnement devenait davantage significatif et authentique.

Les rencontres étaient synonyme de plaisir et ce, malgré les nombreux rendez-vous psycho-médico-sociaux. Notre communication était plus fluide et des sujets plus légers pouvaient être abordés. Nous échangions sur une quantité d’éléments divers et variés, montrant nos différences et points communs.

Ensuite, la situation de Monsieur W. s’est stabilisée de manière générale. Les démarches psycho-médico-sociales devenaient de moins en moins nécessaires. Cependant, le suivi était toujours d’actualité et chaque moment passé avec lui était un réel bonheur.

Ces instants-là me donnaient l’impression de ne pas travailler.

Puis vint le temps où la limite de l’accompagnement se faisait ressentir… Mon équipe et moi n’avions plus grand-chose à apporter en termes d’aide puisque son état était stabilisé. Cela a mené à son passage dans le suivi My Way (qui prend le relais une fois la personne stabilisée en logement).

Pour mon plus grand bonheur, cette passation arrivait à point pour ses projets futurs, My Way travaillant sur les ressources, forces et qualités des personnes. Mais, pour mon plus grand «malheur», cela signifiait que je n’allais plus le voir.

Un cocktail émotionnel assez étrange s’est présenté à moi.

Il était compliqué pour moi d’en comprendre réellement le goût… Puis, j’ai pris conscience de l’importance de cette leçon : accompagner une personne, c’est aussi être capable de passer le relais au bon moment, la laisser partir vers d’autres horizons, vers un avenir meilleur.

En fin de compte, nous sommes à l’opposé en termes de phase de vie et cela ne changera pas. Mais je suis convaincu que cette grande différence d’âge qui nous sépare était un atout, un outil qui nous a permis d’apprendre des choses mutuellement sur la vie.

Je suis certain que peu importe la période de vie, il y a toujours des apprentissages à faire, à condition d’être attentif.

Merci Monsieur W. pour ce que vous m’avez apporté et je souhaite de « tout cœur » ne plus vous revoir dans notre suivi !

Aidez les personnes comme Monsieur W. à reprendre leur vie en main

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(*) Nous mettons tout en œuvre pour respecter la vie privée de nos patients et notre secret professionnel. Nous voulons néanmoins témoigner de la façon dont ils doivent survivre et de la manière dont nous travaillons ensemble à leur réinsertion. Par conséquent, le nom des lieux et des personnes sont volontairement omis ou modifiés et des situations vécues sont placées dans un autre contexte. Il n’y a pas de lien direct entre les photos et les histoires ci-dessus.